Saint Riowen: sa vie, son culte

Le marquis de l’Estourbeillon, dans son petit ouvrage qu’il consacre aux frairies d’Avessac, nous présente ainsi saint Riowen: « Moine du monastère de Saint- Sauveur, dès l’an 837, saint Riowen, dit la légende, s’y fit remarquer de bonne heure par son austérité et ses vertus C’est surtout dans l’apostolat que se manifestèrent son zèle, son humilité et sa charité sans bornes. Chaque jour, en portant dans nos pays la parole évangélique, il n’avait pas de plus grand bonheur, après les fatigues de prédications incessantes, que de partager son maigre repas avec les pauvres des chaumières….. »

« Un jour, dit la légende,  pendant ses prédications, alors que les eaux de la Vilaine, grossies par la tempête, avaient emporté sa petite barque, en rompant leurs digues, on le vit, après une courte prière, s’avancer sans crainte vers les flots et étendant son manteau sur les eaux en guise de radeau, gagner la rive opposée pour retourner à son monastère de Redon. Les territoires de Bains sur Oust  et d’Avessac furent les principaux théâtres de ses prédications. Dans tous les cas, lui même était sans nul doute, originaire de nos pays et très probablement né à Avessac, où les chartes nous le montrent sans cesse et qu’il affectionnait tout particulièrement ».

Mais qu’en est-il de ce moine que la nouvelle paroisse d’Avessac, Saint-Nicolas et Fégréac a pris comme saint patron, avec Saint Méréal, et que nos anciens vénéraient déjà sur la frairie de la « Haye-Rorion »?

Les sources écrites

Deux documents anciens peuvent nous aider à retrouver la trace de notre saint. Il s’agit du « Cartulaire de Redon » et des « Actes des saints de Redon » ( De gestis sanctorum rotonensium, Cowoïonis et aliorum, libri tres ). Le premier est un recueil contenant quelques quatre cents actes rapportant des donations, achats, ventes et contrats divers. Les trois quarts concernent le IXème siècle et le reste, les deux siècles à suivre. La copie qui nous est parvenue semble fiable, même si, on sans doute, elle favorise très probablement les intérêts de l’abbaye de Redon. Le « Cartulaire de Redon » reste un document rare et essentiel pour connaître l’histoire de la Bretagne au IXème siècle.

Le deuxième document, « De gestis sanctorum rotonensium Conwoïonis et aliorum, libri tres », est attribué à Ratuili (ou Ratvili), fils de Catloiant, machtiern de Ruffiac. Moine à Saint-Sauveur, il raconte comment fut fondée l’abbaye de Redon, la vie qu’y menaient les premiers moines, les miracles qui eurent lieu et la dévotion qui y était attachée. Si l’oeuvre s’appuie sur un fond de vérité, elle est souvent embellie, voir transformée pour la rendre plus édifiante. L’ouvrage reste cependant un document qu’il ne faut pas négliger. A défaut de nous dire toujours la vérité, il nous dit au moins comment elle était reçue par les contemporains.

Ignorant de la langue latine, surtout de celle usitée au IXème siècle, et de l’interprétation qu’il faut donner à ces textes anciens, nous faisons appel à un auteur plus récent, Erlannig, François Marquer de son vrai nom. Ce dernier a enseigné l’histoire au lycée Saint-Sauveur de Redon. Dans un ouvrage publié en 1980, « Le Pays de Redon et le destin celtique de la Bretagne », il nous raconte les débuts de l’abbaye et sa place dans l’histoire de Bretagne. Il nous apporte de nombreux renseignements et a l’immense mérite de nous renvoyer aussi souvent que possible aux sources anciennes en indiquant rigoureusement ses références.

Ce que nous savons de la vie de saint Riowen

Moine à l’abbaye de Redon, l’existence de Riowen est clairement attestée. Le Cartulaire plusieurs fois le cite et Ratuili en parle dans ses écrits. Probablement originaire de Ruffiac, où il possède des terres, il rentre à Saint-Sauveur en 832 . Deux chartes du Cartulaire, la 12 et la 156, nous indiquent que Riowen donne en 834 sa « ran » de Loutinoc à l’abbaye de Redon. Cette terre, exploitation agricole, se situe à Ruffiac sur les bords d’un ruisseau portant le nom de l’Imhoir. Le marquis de l’Estourbeillon nous dit que Riowen était sans doute originaire d’Avessac. Il n’en est rien. Il semble qu’il confonde avec un autre Riowen, censitaire de l’abbaye et qui possédait une « ran » sur cette paroisse.

                                 Cartulaire de Redon: Charte 156, rihowen prb (pesbyter/prêtre)

Ce que nous dit Ratuili de Riowen c’est qu’il était « d’une simplicité merveilleuse et d’une piété admirable, n’ayant sans doute jamais perdu cette droiture d’âme tant recommandée à ses disciples par Saint Benoît, ce qui lui valut d’être tourné constamment, comme d’un seul pli, tout droit vers Dieu et vers ses frères avec amour et bonté. Aussi, était-il chéri de tous. Les faveurs qui lui furent octroyées par le ciel étaient pour lui des motifs supplémentaires de veiller avec plus de sévérité sur ses propres actions afin de se conserver toujours agréable à Dieu ».

Ratuili nous le présente encore comme un moine paysan, travaillant de ses mains, ayant la charge des foins à faire. A ces occasions, il traverse la Vilaine avec d’autres moines pour travailler de ce côté ci du fleuve, face à l’abbaye, sur les terres basses qu’occupe entre autre aujourd’hui, le quartier Tabago , à Saint-Nicolas de Redon.

C’est ainsi qu’un jour, nous raconte Ratuili, il réalise l’un de ses miracles. Midi approchant et voulant s’en retourner à l’abbaye pour y offrir le saint sacrifice de la messe, il n’arrive pas à retrouver son bateau. Il le cherche un peu partout et sans s’en rendre compte traverse la Vilaine presqu’à pied sec. Légende
ou vérité? Rappelons simplement qu’autrefois, avant la construction du barrage d’Arzal, la marée se faisait ressentir bien au delà de Redon. Ne peut-on imaginer alors que l’évènement se soit passé un jour de très grande marée, facilitant un peu la traversée du fleuve? La tradition populaire retiendra l’évènement et le transformera pour en faire le miracle que le marquis de l’Estourbeillon nous rapporte.

Le culte à saint Riowen

Il est probable que le culte à Saint Riowen, s’installe très rapidement sur Avessac, avant que l’oubli ne puisse faire son oeuvre. Rappelons qu’à l’époque la sanctification est bien plus le fait de la vox populi que d’une décision officielle.

Le premier acte connu de canonisation date de 993 et ce n’est qu’en 1215 au concile du Latran, que cette démarche devient monopole papale. L’Eglise après coup, entérine la dévotion populaire liée à certaines personnes.

Le culte à saint Riowen reste très limité sur le plan géographique. Il n’y a guère qu’à Avessac, sur la frairie de la Haye-Rorion, qu’on le vénère, et peut-être aussi sur la frairie de Conq à Massérac. Il n’y a, à notre connaissance, aucun autre lieu où il soit vénéré.

                                                                                                          La Haie:porte de l’ancienne chapelle

Très souvent saint Riowen est confondu avec saint Rion dont la dévotion est liée à l’abbaye de Beauport dans les côtes d’Armor. C’est ce dernier, dont la vie est totalement inconnue, qu’on vénère à Ploubazlanec, Ploëzec et Plourivo, localités toutes proches de Beauport, et non saint Riowen comme le prétend le marquis de l’Estourbeillon. La
confusion vient du fait que Riowen se dit parfois Rion. Ainsi en est-il au village de Rorion qui signifie « tertre de Riowen » du vieux breton « roz« . Près de ce village, qui par son nom garde la mémoire du saint, était également connue autrefois une parcelle appelée « domaine de Saint-Riowen » (section B n°1593 de l’ancien cadastre).

A la ferme de la Haye, se situait autrefois par ailleurs, selon le marquis de l’Estourbeillon, la chapelle frairienne. Il reste  en effet quelques beaux éléments d’une architecture ancienne : une porte en ogive, remaniée par la suite, deux arcs en plein cintre, l’un en grès, l’autre en tuffaut et d’autres éléments encore qui indiquent aussi la présence en cet endroit, autrefois, d’une maison à caractère noble.

Avec la Révolution et la disparition des frairies, la dévotion aux saints qui y étaient attachés tend à disparaître . Celle-ci cependant ne disparaît pas complètement à Avessac. L’abbé Crépel, curé d’Avessac entre 1908 et 1913, aidé par le marquis de l’Estourbeillon, cherche à raviver l’esprit des frairies. C’est de cette époque que datent les drapeaux conservés à la sacristie de l’église, pour remplacer symboliquement les chapelles disparues. Celui de la Haye-Rorion porte évidemment une représentation de Saint Riowen.

Plus tard, en avril 1949, au temps où le père Rondeau était curé, un pèlerinage est décidé pour rendre
hommage au saint. Une statue représentant un moine à longue barbe, portant d’une main un bâton de pèlerin et de l’autre la règle monastique, est commandée et un terrain, en bordure de marais sous le village de la Grée des Rivières est aménagé. Le 7 août, enfin, une procession est organisée, partant de ce dernier village et aboutissant à l’endroit où doit être installée la statue. On parle d’une belle assistance où se retrouvent des paroissiens d’Avessac mais aussi de Sainte-Marie et de la Chapelle Saint-Melaine qui ont été invités. Le drapeau de la frairie précède la grande croix de procession et la statue posée sur un brancard.

Arrivée là où elle doit être installée, celle-ci est bénie et mise en place dans sa niche. Après la célébration religieuse, la fête continue. Les participants se restaurent et on décide d’instituer un pèlerinage chaque année ici même le premier ou deuxième dimanche d’août, la fête de saint Riowen étant le 14. La démarche perdure quelques années, pas au delà de 1960, avant de disparaître. Reste encore aujourd’hui la statue, protégée par une grille, face aux marais, qu’on aperçoit en prenant le chemin de grande randonnée dit des « trois rivières ».

 

 

Iconographie dédiée à saint Riowen

Elle est rare et n’existe sans doute qu’à Avessac. Elle est de plus récente, toute représentation ayant pu exister dans l’ancienne chapelle frairienne ayant disparu. La plus ancienne représentation date tout au plus de la fin du XIXème siècle. Il s’agit d’une peinture sur bois, accrochée dans la sacristie de l’église, et qui le représente flottant en compagnie de trois autres personnages. Cette peinture ornait au siècle dernier la chapelle de Penhouet, propriété de la famille de l’Estourbeillon, avec un autre tableau  représentant la fuite des moines de Landévennec et qui se trouve aussi aujourd’hui dans la sacristie de l’église.

                                                                                             Statue de Saint Riowen, la Grée des rivières

Outre la statue installée face aux marais et la représentation du drapeau frairien dont on a déjà parlé, Saint Riowen est tout particulièrement honoré dans l’église d’Avessac par un superbe grand vitrail réalisé vers 1960 par le maître verrier Yves Dehais. Le saint y est représenté en évêque, ce qui n’est pas conforme à la réalité. Il flotte sur un manteau porté par deux anges. A noter que son nom s’écrit là « Riovin« , comme il se prononce. 
Peinture sur bois, sacristie de l’église.

Un autre petit vitrail symbolise la frairie de la Haye-Rorion, réalisé lui aussi par Yves Dehais vers 1960, comme tous les autres vitraux dédiés aux autres frairies et à leurs saints patrons. Il représentent de toute évidence le pont de Penfau qui dépend de la haye-Rorion. Il est surmonté d’une croix. On peut penser ici que l’artiste a fait consciemment  le parallèle entre la fonction de cet ouvrage qui permet de traverser la Vilaine et la tradition montrant saint Riowen franchissant le fleuve tumultueux.

                                                       Peinture sur bois sacristie de l’église

Sources

-« Le Pays de Redon et le destin celtique de la Bretagne« , Erlannig, Joseph Floch imprimeur-éditeur à Mayenne, 1980.

-« Les frairies de la paroisse d’Avessac » par le marquis de l’Estourbeillon, Imprimerie Bouteloup et fils ainé, Redon, 1913.

-« Racontez-nous Avessac » par l’Abbé joseph Le Berre, Mairie d’Avessac, 1999.

-« Cartulaire de Redon« , H. Guillotel, A. Chédeville et B. Tanguy, Imprimerie Mame à Tours, 1998.

« Le culte de saint Maudet et de saint Rion », Yves-Marie Lucas, Revue Historique de l’Ouest, t.8 et 9, 1892 et 1893.