Paysages et clôtures d’autrefois

Le remembrement des années soixante

Initié en 1959, le remembrement s’achève en 1969, après que les terres aient été redistribuées et que nombre de haies aient été arrachées. Il s’accompagne sur Avessac d’une réorganisation importante de la voirie, et ce grâce à Mademoiselle Marais, maire de la commune à l’époque, et qui par son action obtint d’importantes subventions. On parle de 80% du total des sommes engagées. C’est ainsi que 200 kilomètres de routes et chemins, voire plus encore, sont retracés et réaménagés sur la commune.

Le remembrement sur Avessac est plutôt bien accueilli. Certes, le redécoupage des terres et les réattributions faites à chacun ne sont pas toujours évidentes. Certains y ont gagné, d’autres perdu, mais le principe même est plutôt bien accepté. Le morcellement et la taille des parcelles n’est plus à l’époque compatible avec la mécanisation de l’agriculture qui se met en place. Chacun comprend que la réorganisation de l’espace agricole devient nécessaire et qu’on ne peut continuer à s’attacher à la terre héritée de ses ancêtres. D’autres communes ont déjà vécu l’expérience avant Avessac, essuyant les plâtres, nous évitant certaines erreurs.
« On peut regretter cependant, nous dit un témoin de l’époque, que le nouveau découpage des parcelles se soit fait à la perpendiculaire des anciens, entraînant un arrachage excessif de haies ». « Il est vrai, rajoute-t-il, que la chose était sans doute voulue ». Une autre personne nous rappelle le rôle important de mademoiselle Marais dans l’opération et puis  le choix fait à l’époque de répartir la charge financière restante entre tous, qu’on soit sur un secteur fortement ou faiblement remembré .

La campagne comme elle était avant le remembrement

Nos témoins se souviennent: « des parcelles tout en longueur, qui pouvaient faire cinq mètres de large sur cent de long, bordées de haies ». Une personne calcule: « j’ai une parcelle de cinq ou six hectares aujourd’hui, qui comptait avant remembrement 186 parcelles « ailleurs ». Sur 32 hectares, il y avait 350 parcelles! ».

Bien des parcelles ne dépassaient pas les 30 ares, voire même les 10 ares. Les terres d’une même exploitation pouvaient être très dispersées, « mais ça dépendait aussi des endroits. Certains secteurs étaient mieux structurés que d’autres », là, notamment, où il y avait des propriétés importantes, comme à la Châtaigneraie. Et puis « on commençait déjà à s’échanger des terrains à l’amiable, entre voisins ».
« Les haies, il y en avait bien plus qu’aujourd’hui  et puis des pommiers aussi, en rangées, pour produire des pommes ». « Une partie était vendue pour faire rentrer de l’argent, une autre servait à faire du cidre sur la ferme, qu’on buvait tout au long de l’année ». « On brûlait aussi pour faire de la goutte ».

« Les haies étaient plantées sur des talus, levées, dressées par les anciens, en creusant des fossés, quand ils ont engagé le défrichage des landes au XIXème siècle ». « On mettait du chneu, crottes de chien et boue mélangées, au pied, pour empêcher les vaches de manger les jeunes plants , et puis  on bouchait les trous avec des branchages « .


la Rue d’Aval: photo aérienne de 1952 (IGN); une multitude de parcelles.

« En guise de haies, on plantait aussi « des branches de saules qu’on cintrait, enlacées de branches plus fines ».

« Mais les haies c’était surtout autour des pâtures qu’on en avait. Ailleurs, sur les terres en labour, le maillage était un peu moins dense, Dieu merci ».
« Imaginez les rendements sur une parcelle faisant cinq mètres de large, entourée de haies »?

« Pour le bornage, entre les parcelles,  on utilisait des grosses pierres plates qu’on cassait en deux. L’un des bouts était dressé et l’autre enterré au fond du trou, comme témoin, en cas de litige ». Il semble en effet que le déplacement des bornes était une pratique courante autrefois, une manière de tenter de s’enrichir sur le compte de ses voisins!

Le marquis de l’Estourbeillon, dans son petit ouvrage « Les légendes bretonnes du pays d’Avessac », nous raconte le lien existant entre les loups garous des Meleresses et le sort réservé à ceux qui déplaçaient les bornes.

« Dans les bois on bornait différemment, en coupant des arbres à un mètre du sol. On appelait ça des têtards. Leur élagage donnait du bois de chauffage ».

Chemins creux et viettes du temps passé

Il n’existait, avant le remembrement, que quelques axes carrossables. Les autres chemins étaient souvent peu praticables, mal empierrés et plus ou moins étroits. Certains écarts n’étaient pas même desservis.

Nos témoins se souviennent: « les chemins étaient vraiment creux, jusqu’à deux ou trois mètres, surtout dans les pentes ».

« Les fossés n’existaient pas et l’eau, aux jours de pluies, coulait à même le chemin, creusant tout sur son passage. Une personne se souvient que « le chemin qui mène de Bouix à la Salle n’était praticable avec des boeufs qu’à la descente:  » On prenait par un autre chemin pour le retour ».

Une autre: « dans les creux, les chemins étaient toujours pleins d’eau, comme à Fenanda, sous le cimetière ».

« Le dimanche, pour venir à la messe, les anciens mettaient leurs sabots, portaient leurs chaussures à la main et retroussaient leurs pantalons pour ne pas se salir. Chacun avait sa cache en arrivant sur le bourg, pour poser ses sabots, mettre ses chaussures et arriver propre à l’église ».

« Les chemins pouvaient être étroits. On avait parfois du mal à se croiser avec les bêtes ».

chemin menant au bourg, actuelle allée Notre-Dame (1908). (archives départementales)

« Pour l’entretien des chemins, les agriculteurs donnaient des journées de prestations, comme on disait. C’était ça en moins sur les impôts à payer. Ça a duré jusque vers 1945 / 1950 ».

« On avait une charrue à la commune pour faire des saignées sur les bas côtés, pour l’évacuation des eaux ».

On se souvient aussi des viettes, du latin « via », la voie. C’étaient des petits chemins piétonniers établis par habitude, qu’on empruntait pour se rendre d’un point à un autre comme raccourci. On cite la viette du Vignat pour aller puiser l’eau à la fontaine de la Roullat, près de la Hunaudière, celle du bois des Gaboriaux et celle encore des Salantes, entre Trélican et le Pordor, qu’empruntaient les fermiers pour aller au château. Celle du lavoir existe toujours, bouchée à ses deux extrêmités, coincée entre deux jardins. Les femmes du bourg l’empruntaient autrefois pour aller laver leur linge.

Les communs

Reste encore, au moment du remembrement, quelques communs que personne n’exploite. On en trouve surtout dans les pointes, aux carrefours. On parle de « pâtis », ou encore de « chiente », où celles et ceux qui n’ont pas grand chose vont pour faire pâturer leurs quelques bêtes, une ou deux vaches ou bien encore une chèvre. C’est ce qui reste des vastes communs d’autrefois.

La paroisse d’Avessac – les communes n’existaient pas encore –  était sous l’ancien régime, avant la Révolution, formée en grande partie de landes, avec ici et là des terres en labour groupées en domaines, ou gagneries, gagnés sur les landes, des prairies, en zones humides, en bordure de marais et de ruisseaux, des taillis et des bois dont le plus important était sans nul doute celui du Pordor. Sur les landes qui n’étaient à personne chacun tirait une partie de ses ressources: bois mort, engrais, litière, fruits sauvages. On y mettait aussi ses bestiaux à pâturer. C’étaient les communs, si nécessaires à la vie des paysans.

A la fin du XVIIIème siècle on commence à défricher ces terres. Les seigneurs, pour accroître leurs revenus, les afféagent, ce qui n’est pas sans provoquer la colère des paysans. Le « cahier de doléances du tiers état de la paroisse d’Avessac et trève y annexée » nous en parle. Mais le mouvement est en place. Une loi en 1850 impose le partage définitif des communs restants. Seules quelques parcelles sans grand intérêt y échappent….. jusqu’au remembrement.
On se rappelle encore que pour défricher les parcelles gagnées sur les landes restantes on empruntait la charrue de la commune plus solide que les autres, avec son socle en acier trempé.

Quand les « belles » d’Avessac s’exerçaient à Charruer: moulin du Tertre, 1939.

Un autre aspect du paysage: les clôtures

Les clôtures en palis étaient très nombreuses. « Il y en avait dans les villages, et au bourg, pour clôturer les jardins, pour marquer les limites de propriétés et puis aussi dans la campagne,  pour clôturer les pâtures, là où les terres étaient humides, en bordure de marais, dans les bas fonds ». « On en mettait là où c’était difficile de dresser des levées ».

[ clôture palis à Painfaut

Un témoin se souvient: « Il y en avait pas mal sous la Caroline, du côté de la Sicardais, près de Bareil, à la Mercerais, à Penfao, à Tily aussi, là où c’est humide ». Il rajoute: « le remembrement , à l’époque, a tout fait disparaître ».

De fait il ne reste que quelques rares éléments oubliés ici et là dans les haies, quelques clôtures, dont une en bon état, dans le bourg et plus rarement dans les villages.

Les palis servaient aussi à faire des cours pour les cochons et des cloisons dans les soues.

L’entrée des champs pouvait être fermée avec une barrière en bois de châtaignier, faite avec deux montants horizontaux, en bas et en haut, et des barreaux en travers, comme pour une échelle. C’était la barrière traditionnelle en usage dans le pays de Redon. Une très vieille existe encore à la Hunaudière.

Après la guerre de 1939 / 1945, on s’est mis aussi à faire des clôtures en bois de châtaignier, avec des pieux espacés de un mètre cinquante à deux mètres, avec entre, fixées dessus, une ou deux bûches, en guise de lisses. On réservait ce type de clôture aux bordures de chemins ou en limite de propriété. « L’oncle avait rapporté cette idée d’Allemagne où il avait été prisonnier ».

Apparaît enfin, vers 1950, le barbelé, juste avant le remembrement. «ça a libéré les gars pour aller voir les filles! » nous dit un témoin avec humour. Plus sérieusement, un autre explique qu’ « un piquet en châtaigner fait vingt ans, alors on en rajoute ensuite pour l’entretien des clôtures, tout en laissant les anciens ». Quelque trente ou quarante années plus tard ces clôtures, soigneusement entretenues, racontent leur histoire et participent à leur manière au patrimoine de nos campagnes.

Sources

Champs ouverts, habitudes communautaires et villages en alignements dans le nord de la !loire-Atlantique », de Hubert Maheux, www.culture.gouv.fr .

Vies paysannes en pays de Redon 1930-1980 », Ed. « Mémoires vives en pays de Redon », 2007.

Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne » par Ogée, 1778.

Cahier de doléances du tiers état de la paroisse d’Avessac et trève y annexée » présenté par « Nantes. Histoire / Comité Liberté-Egalité-Fraternité 89 », 1989.

Autres sources

-Témoignages recueillis lors de deux rencontres: 20 février et 25 mars 2008.
-Témoignages oraux collectés ici et là.