Avessac au temps des laveuses

«  As-tu une poigneue ? » 

Voilà ce que l’on pouvait entendre, de bon matin à Avessac, il y a encore quelques dizaines d’années. Sur le chemin du lavoir, les laveuses invitaient les ménagères à leur confier une poignée de linge, qui venait s’ajouter à la brouette déjà pleine du client ou employeur attitré.
Dès le matin, été comme hiver, les laveuses traversaient le bourg et se rendaient au lavoir de Potel ou de Fenanda.

Ce dernier était le plus employé, proche du village de Painhojus, où ont vécu plusieurs laveuses. Il était à l’époque simplement recouvert de tôles et ouvert sur deux côtés.

 

le lavoir de Fenanda vers 1970

On y accédait, soit par un simple chemin longeant le cimetière et se terminant au bas d’un pré par une pente abrupte, soit par le chemin venant de la gare, qu’il fallait souvent charger de fagots l’hiver, l’eau le rendant impraticable.

Le lavoir et la fontaine attenante étaient alimentés par plusieurs sources qui semblaient intarissables, comme elles le sont encore aujourd’hui.
Six chaudrons en fonte permettaient de faire bouillir le linge. Ils étaient fixés sur des murets de briques ou de pierres leurs servant de foyer. Appartenant à plusieurs propriétaires, et notamment aux familles Delannée, Roul et Guillemin, ils étaient parfois loués aux particuliers pour cinq sous ou cent francs anciens, suivant l’époque. Il en subsiste encore quelques vestiges aujourd’hui.
Cinq à sept boites en bois dites « boites à laver », voyaient s’y agenouiller régulièrement jusqu’à six laveuses par jour, sauf peut être le vendredi, où seules quelques ménagères venaient laver une poignée.

Le linge était apporté sur une brouette avec le seau contenant la lessive, de la St Marc pendant longtemps, la brosse en chiendent, le savon et bien souvent une bouteille fournie par l’employeur, de vin blanc en général.
On apportait aussi, s’il n’était déjà sur place, le fagot et le bois nécessaire au foyer.
L’hiver, pour adoucir la morsure de l’eau froide, il était coutumier de verser un peu d’eau chaude dans le lavoir.

Pour commencer on trempait le linge dans un chaudron, dans une eau pas trop chaude, puis il était décrassé, savonné, brossé et tapé sur une planche ou un palis d’ardoise, et plongé dans l’eau du lavoir et ainsi plusieurs fois de suite.
L’eau du chaudron était ensuite changée, le linge était bouilli, rincé, frappé à nouveau à coups de battoir, afin de chasser la dernière eau savonneuse, particulièrement pour les gros draps.

On étendait les grands linges sur une perche entre deux piquets, pour l’égoutter, en attendant la fin du lavage. Malgré cela, il fallait souvent s’entraider pour étreindre les grands draps chargés d’eau. Enfin le linge était placé à plat sur la brouette au fond ajouré, aussi appelée camion.

« Camion » : brouette de laveuse.

Les journées étaient longues. le déjeuner était parfois pris sur place.
La brouette, lourde de linge propre, était laissée aux bons soins du propriétaire ou remontée par la laveuse, qui pouvait à l’occasion déjeuner chez l’employeur.

L’histoire du lavoir de Fenanda est riche des noms des familles d’Avessac : les plus anciens se souviendront sans doute de Marie Sarrazin, dite Marie Couscous, qui s’occupait aussi des noces avec « Belot » le boucher de la place et Michel Loret , de Jeanne Bauthamy, de Mélie Bélavoir, Joséphine Barais, Fifine, Marie Epié, et de Mme Barel…

Les employeurs habituels étaient la boucherie Roul, la maison Guillemin, la cure, Mme Evain dite la Mère Fils, Mme Forestier qu’on appelait « La Dame », et Hélène Delannée qui tenait une petite épicerie à l’entrée de la route de Redon.

Le métier de laveuse a vécu jusqu’au siècle dernier, il s’est éteint doucement au début des années 80. Vers la fin des années 60, l’arrivée du lave linge dans nos campagnes fut un soulagement pour les ménagères, et mit fin progressivement à une corvée et un dur labeur. Mais ce fut aussi une révolution culturelle qui sonna le glas d’une activité ancestrale.

Evidemment, la machine à laver ne fut pas particulièrement bien accueillie par la profession, outre la perte de l’outil de travail, c’était un mode de vie qui s’éteignait. Une vie dure, laborieuse, mais qui procurait aussi ses plaisirs simples.
Depuis des siècles en effet, dans les bourgs et les villages, les femmes se retrouvaient au lavoir, s’échangeaient les nouvelles, les rumeurs, et souvent les ragots. Du lavoir s’élevaient la vapeur des lessiveuses, mais aussi des éclats de voix et de rire.
Eclat de voix qui inspirèrent la légende populaire des « Aboyeuses de Josselin » :

Des lavandières, à l’ouvrage un jour de fête de la Vierge, se moquèrent d’une mendiante. Le chien des laveuses se précipita sur cette dernière tout en aboyant de colère. Mais l’inconnue s’arrêta, et d’un regard sévère et d’une voix cinglante leur dit : « Femmes, vous serez punies et vous aboierez à l’avenir, vous et vos filles, comme votre chien l’a fait tout à l’heure, en aboyant après moi ».

Si Avessac n’a pas sa légende, il reste des anecdotes, dont celle-ci :
Après une dure journée, deux braves laveuses s’arrêtèrent prendre un petit verre bien mérité, laissant les deux brouettes de linge propre sur le trottoir. Le « petit dernier » s’éternisant, un joyeux luron eut l’idée d’intervertir les brouettes, créant de ce fait, une certaine confusion chez les propriétaires du linge….

Le temps a passé, le lavoir de Fenanda est devenu silencieux. Joliment réhabilité et aménagé en lieu de détente, il est surtout fréquenté aujourd’hui par les adolescents en quête de solitude et d’isolement …

                                         Scène théâtrale lors de la rando chantée de mai 2022