Le contexte est le suivant: en 845, Nominoë, duc de Bretagne, bat à Ballon, près de Bains sur Oust, Charles le Chauve, roi de Francie. Celui-ci se voit contraint de reconnaître l’indépendance de la Bretagne.
En 851, Erispoë, fils de Nominoë, bat à son tour, à Jengland, sur le Grand-Fougerêt, le même Charles le Chauve qui cette fois, se voit dans l’obligation de lui reconnaître aussi le titre de roi de Bretagne. Il lui accorde également les comtés de Rennes et de Nantes dont dépend le secteur d’Avessac.
Mais voilà déjà plusieurs dizaines d’années que la région de Redon est sous influence bretonne. L’implantation, en 832, de l’abbaye Saint-Sauveur en un lieu nommé Roton, entre Oust et Vilaine par Conwoïon, encouragé par Nominoë, n’a fait qu’amplifier un phénomène déjà engagé à la fin du VIIIème siècle. Les bretons se sont installés sur le secteur, y compris de ce côté-ci de la Vilaine, avec leurs institutions politiques et religieuses, et leur langue.
Témoins des origines très anciennes de la paroisse d’Avessac
La commune d’Avessac possède deux éléments qui à leur manière témoignent peut- être des origines très anciennes de la paroisse. Il s’agit d’un sarcophage sans couvercle, découvert vers 1840, dans l’ancien cimetière près de l’église, et d’une tête en bas relief retrouvé vers 1960.
Le sarcophage est en pierre de granite, comme d’autres sur le secteur. Il mesure extérieurement 2 m de long, 78 cm sur sa partie la plus large et 38 cm de haut et, intérieurement, 180 cm, 57 cm et 29 cm. Il est de forme trapézoïdale avec un côté à deux angles droits. Il est démuni de logette céphaloïde, contrairement à ce que nous dit la bibliographie. Propriété de la commune, il est posé près de l’église, côté nord.
On le date souvent du IXème siècle ou plus largement du haut moyen-âge, comme sa forme peut le laisser supposer, marquant ainsi l’origine très ancienne d’un lieu de sépultures en cet endroit. Cependant, Philippe Guigon, auteur d’une étude très complète sur les sépultures du haut Moyen-âge en Bretagne, se garde bien pour sa part de la moindre datation, en absence d’éléments suffisants.
La tête en bas relief: Elle fut découverte dans les années 1960, lors de travaux dans le choeur de l’église. On peut regretter aujourd’hui l’absence de fouilles à l’époque, car selon un témoignage, d’autres découvertes auraient probablement pu être faites. Elle est en grès, de forme rectangulaire, avec une base brute et un envers plat.
L’abbé Le Berre pensait qu’elle datait de l’époque romaine, qu’il s’agissait peut être d’une divinité et qu’un temple existait là à l’origine. Mais ses traits stylistiques la rapprochent plus certainement du moyen-âge. Certains y voient l’époque mérovingienne, d’autres une époque plus récente, IXème siècle ou même XIIIème, XIVème siècle. Il s’agit de toute évidence d’un élément architectural, sans doute d’un « corbeau » destiné à supporter une poutre ou une voûte, prise dans la maçonnerie et dont la tête d’allure hideuse, regarde vers le bas. Elle appartient sans doute à un premier édifice religieux précédent l’église actuelle. On peut se laisser à rêver que si l’époque mérovingienne était un jour confirmée, elle tenterait à démontrer qu’existait là une église primitive du temps de la « conditae » dont parle Noël-Yves Tonnerre.
Les institutions politiques
Elles se caractérisent notamment par l’existence des « mach’tierns », chefs bretons. Ceux-ci détiennent leurs pouvoirs par délégation du « Rix », duc puis roi de Bretagne. Ils garantissent la justice. Il s’agit probablement de gros propriétaires nobles, même si leur fonction n’est pas directement liée à leur fortune.
Le « Cartulaire de Redon » nous évoque plusieurs fois de Harscoët de Penhoët, « Princeps Plebis Avizac », chef du peuple et pays d’Avessac. Il donne, semble-t-il, en 842, à l’abbaye Saint-Sauveur, la terre de la Provotaye, sur Saint- Nicolas de Redon . En 858 il séjourne quelques temps à l’abbaye et donne encore une villa nommée Urswalt, située peut-être près du Vau de Murin.
Extrait du Cartulaire de Redon, charte 126: « hoiarfcoit. princepf plebif avizac »
Même s’il n’est jamais clairement désigné avec le titre de mach’tiern, il en a cependant les fonctions, comme Ratvili à Bains sur Oust et Jarnitin à l’ouest de Redon. Il est de plus non seulement chef du « Pleb Avizac », qui recouvre les communes actuelles d’Avessac et Saint-Nicolas de Redon, mais chef également du « Pleb Seï » qui correspond à l’actuelle commune de Plessé. On le voit en effet dans une charte de 854 juger une affaire opposant les moines de Redon à deux habitants du « Pleb Seï ».
Notons enfin l’existence sur Avessac, en 916, de deux autres « mach’tiern »: Godalem, fils de Glendaen, et Bernart, qui semblent exercer conjointement leur pouvoir.
Les institutions religieuses
Avessac est l’une des plus anciennes paroisses du diocèse de Nantes. Le « Cartulaire de Redon » la cite dès 836, alors que trois habitants du « Pleb Avizac », Vurbudic, Hingant et Jancar, font une donation à l’abbaye Saint-Sauveur . Le pleb est l’équivalent, en zone gallo-romane du « plou » en zone bretonnante. Le premier pasteur connu sur le pleb est Maëncomin.
Il est probable que la paroisse soit plus ancienne encore et que le « Pleb Avizac » soit issu d’ une Conditae, paroisse primitive, d’époque mérovingienne. C’est tout du moins ce que suppose Noël-Yves Tonnerre dans son ouvrage dédié à la naissance de la Bretagne. Cette Conditae recouvrait alors les actuelles communes de Saint-Nicolas de Redon, Fégréac et Avessac, comme l’actuelle paroisse « Saints Riowen et Méréal ».
Mais ce qui caractérise l’implantation bretonne sur notre territoire c’est la présence de frairies. C’est l’unité de base de la société bretonne. La frairie joue un rôle religieux, avec la présence le plus souvent d’une chapelle sur son territoire et d’un cimetière qu’on appelle « Paradis ». Elle joue également un rôle économique et social. Elle gère les intérêts communs et assure la solidarité entre voisins. La frairie semble être une adaptation du clan primitif celtique. Elles se développent essentiellement à partir du XVème siècle. Cependant il semble que l’institution soit beaucoup plus ancienne sur Avessac et qu’elle remonte au IXème ou Xème siècle. Noël-Yves Tonnerre constate en effet que sur douze frairies, neuf ont pour patrons des saints bretons antérieurs à l’an mille, alors même que la langue cesse d’être parlé sur le secteur à partir du XIème siècle .
De l’usage du breton sur le territoire d’Avessac
Lorsqu’ils arrivent sur notre secteur à la fin du VIIIème siècle, les bretons s’installent non seulement avec leurs coutumes et institutions mais aussi avec leur langue qu’ils continuent de parler. L’étude de la toponymie nous montre clairement qu’une partie non négligeable de nos lieux dits sont d’origine bretonne. Jean-Yves Le Moing qui a travaillé sur le sujet estime à 26 % la proportion des toponymes d’Avessac liés à cette langue. Mais les bretonnants, pas assez nombreux, bien qu’appartenant aux classes dominantes, n’arrivent pas à imposer leur langue aux populations autochtones d’origine gallo-romaine. C’est pourquoi le breton, parlé par une partie de la population, au cours des IXème et Xème siècle, régresse ensuite à partir du XIème siècle. Une limite linguistique s’établit alors, allant de Paimpol dans les Côtes d’ Armor à Bourg de Batz en Loire -Atlantique. Avec à l’ouest, une Bretagne bretonnante, et à l’est une Bretagne où se développe un parler de type gallo-roman, proche du français, et qu’on désigne aujourd’hui sous le terme de Gallo.
L’implantation des bretons sur Avessac vu à travers la toponymie
Les chefs tout d’abord: le « lis » est leur demeure, le lieu où s’exerce leur pouvoir et où se rend la justice. Cela nous donne des noms comme Lézin ou Helleu.
– Lézin: village situé au nord est de la commune. L’emplacement, sans doute, d’une demeure seigneuriale, attachée à un chef breton. On note à proximité un autre lieu dit, la Salle, qui peut également avoir la même origine.
– Le Héleu: Il s’agit d’un ruisseau qui prend sa source près de la Cour de Botmélas et qui se jette dans l’étang Aumée. Ce nom viendrait de « hen », l’ancien, et de « lis ». Mais une autre origine est possible: Helleux pourrait être un patronyme d’origine picarde.
Les « cours » peuvent être aussi, à l’origine, des « lis ». Penhouët est dit au XVIème siècle, « Cour de Penhouët » et pourrait être l’un des « lis » de Harscoët. Mais il faut être prudent. La « cour » peut être aussi une simple cour de ferme, ou encore un espace clos, ou bien l’endroit où se trouve une chapelle. Il faut dire encore que le chef breton circule sur son territoire et qu’il possède donc plusieurs « lis » et que ceux-ci sont le plus souvent en bois, ne laissant aucune trace en dehors de la toponymie.
D’autres formes d’implantations existent. Il y a le « treb » qui correspond au hameau. C’est à l’origine, probablement, un village de colons, de paysans non libres, attachés à la terre. Ainsi donc Trélican est sans doute à l’origine le « treb » de Lican, et Trioubry, celui de Uuobry. La notion de « treb » évolue ensuite vers celle de trève, village éloigné du centre paroissial et jouissant donc d’une certaine autonomie. Saint-Nicolas de Redon était, avant la Révolution, une trève d’Avessac.
Autre forme d’implantation, le « bot ». C’est la demeure de l’homme libre, entourée le plus souvent d’arbres, d’où une évolution vers la notion de bosquet. Nous avons sur Avessac, Botmélas, « bot » de Méréal, et Bérulé, déformation de Bot-rulé, « bot » de Ruelin. Mais il-y-a aussi le Bodo, forme pluriel, qui indique là
l’existence de plusieurs « bots ». Botmélas et Bérulé font référence aux saints patrons frairiens locaux. Mais on ne serait dire si les villages portent ces noms à cause des saints ou si les saints ont été choisis à cause des lieux dits.
On trouve la « ran » qui correspond à un lot de terre attribué à un colon et qui correspond à une surface labourable de quatre muids de grains, soit environ deux ou trois hectares. Nous avons ainsi Remballais, « ran » de Wallais, et probablement aussi Rénihel, « ran » de l’Ihel, ruisseau qui sépare le haut du bas Rénihel et qu’on appelle aujourd’hui Gué-Hamon.Concernant Remballais, la même remarque peut être faite que pour Botmélas et Bérulé.
Autres toponymes liés à l’implantation des bretons
D’autres lieux sont également liés à l’implantation des bretons sur notre secteur. Les noms qu’ils leurs donnent peuvent être liés à l’environnement.
-Pouldu: anciennement Poulduc, de « poul », la mare, la crique, ou la fosse, et « duc », qui veut dire noir.
-Penhouët: de « pen », le haut, la pointe, ou encore la tête, et « coët », le bois. Penhouët se situait sans doute à l’extrémité des bois.
-Painfaut: de « pen » et « fao », le hêtre, la hêtraie. À noter ici que le hêtre est utilisé à l’époque comme arbre d’agrément, qu’il peut être planté à proximité du
« bot ». Arthur de la Borderie, grand érudit du XIXème siècle, pense que Salomon, roi de Bretagne, avait un lis à « Penfao ».
-Le clos de Coëtrheul, sur Remballais: de « coët » et « héot », le bois du soleil. À noter que l’ancienne chapelle frairienne de Penhoët y était construite, sur l’emplacement d’un ancien tertre funéraire.
-Le Dréneuc: le nom indique une terre couverte d’ajoncs ou de ronces.
-Crétumez: de « crec’h », la côte, la hauteur, et « turumel », le tertre. De fait Crétumez se trouve sur une hauteur.
-Rohan: de « roc’h », la roche, le rocher.
-Tilly: de « thillic », le champ de laurier.
D’autre lieux se caractérisaient sans doute par un élément curieux qui pouvait surprendre les nouveaux arrivants, témoin d’une occupation plus ancienne.
-Gaumain: de « goh », vieux et « maen », pierre, la vieille pierre. Peut être lié au mégalithisme.
-Camargois: de « ker » et « magouer », le domaine des murailles, en lien avec les ruines de l’ancienne villa gallo-romaine certainement encore bien visibles à l’époque.
Dans certains cas, le toponyme est lié aussi au saint patron de la frairie. Nous l’avons déjà vu avec Botmélas, Bérulé et Remballais.
-Rorion: le rocher de Rion, ou Riowen.
-Catonnet: de « Cast hon enez », promontoir de Cast.
D’autres lieux encore sont indiscutablement bretons, liés à l’époque qui nous intéresse, mais d’interprétation plus délicate.
-Cothias: de « goh » et « théas »?
-Painhojus: de « pen » et « hojus », ou « anru »?
-Guévelo: pluriel de « guével », le jumeau et qui serait alors un nom de personne, ou une déformation de « govello », la forge.
Reste enfin quatre noms sur la commune en « ker »: Ker-Angla, Ker-Héol, Ker- Madé et Ker-Anna. Mais ces lieux-dits n’ont rien à voir avec l’implantation des bretons sur le secteur au IXème siècle. Ils sont d’origine récente, du XIXème, voire même du XXème siècle. Ils témoignent d’un engouement pour l’attachement aux origines bretonnes.
Sources
• « cartulaire de Redon », (CR), réédition de 1998 par les « Amis des Archives historiques du diocèse de Rennes, Dol et Saint-Malo », Imprimerie Mame, Tours. Classification des chartes selon A. de Courson.
• « Naissance de la Bretagne: Géographie historique et structures sociales de la Bretagne méridionale de la fin du VIIIème siècle à la fin du XIIème siècle », N.Y. Tonnerre, Bibliothèque Historique de l’Ouest, Presse de l’Université d’Angers, 1994.
• « Le Pays de Redon et le destin celtique de la Bretagne », Erlannig, Joseph Floch Imprimeur-Editeur à Mayenne, 1980.
• « Le pays de Redon sous les rois bretons », J.M. Dupont dans « Recherches en pays de Vilaine » Tome 1, édité par le groupement culturel Breton des pays de Vilaine, 1982.
• « Noms de lieux et itinéraires anciens de Loire-Atlantique, de Nantes à la Vilaine et au Brivet », H; Tremblay, Nantes Presse Goubault, 1996.
• « Les noms de lieux bretons de haute Bretagne », J.Y. Le Moing, Imp. Keltia Graphic, Coop Breiz, 1990.
• « Histoire de la Bretagne et des pays celtiques de la préhistoire à la féodalité », sous la direction de P. Honoré, Ed. Shol Vreiz, 1974.
• « Toute l’ Histoire de la Bretagne », Coordination J.J. Monnier et J.C. Cassars, Ed. Skol Vreiz, 1999.
• « Racontez-nous Avessac », Abbé Joseph Le Berre, édité par la mairie d’ Avessac et l’ Abbé Le Berre, 1999.
• « Au fil du temps et de l’eau, St Nicolas de Redon », tome 1, Nicole Gourdin et Thérèse Boucard, édité par la mairie de St Nicolas de Redon, 2000.
• « Les frairies de la paroisse d’Avessac », deuxième édition, Marquis de l’Estourbeillon, Imprimerie Réunie A. Bouteloup et fils aîné, 1913.